Quand Léon plonge dans l'hyper activité d'un je-vais-m'occuper-du-jardin, je suis aussitôt prise de tremblements. Quel arbustre va-t-il encore ratiboiser sans ménagement ? Quelle plante va-t-il encore injustement balancer dans le compost ? Quelles fleurs va-t-il encore décapiter d'un coup de tondeuse ? Depuis ce que j'appelle le-coup-des-hortensias, impossible de faire confiance à mon jardinier du dimanche.
Son dernier coup de grisou remonte à quelques mois.
La clôture du jardin se portait comme un charme jusqu'au jour où, mû par une crise de je-vais-tout-péter-là-dedans, il a décidé unilatéralement d'arracher les petits rondins de bois de droite sous prétexte qu'ils étaient pourris-de-chez-pourris. Le sourcil gauche vissé en l'air, je n'ai pu que constater que le résultat était surprenant, voire consternant, et j'ai tenté un mais-pourquoi-pas-à-gauche-aussi auquel je n'ai jamais obtenu de réponse convaincante.
L'hiver passé, les herbes folles ont repoussé et personne n'y a plus vu que du feu. Tout allait donc bien dans le meilleur des mondes.
C'était sans compter le fait qu'en juin, Léon a volontairement scalpé menthe et coquelicots lors d'un safari tonte et que, donc, le vilain mur a réapparu. Là, n'en pouvant plus, j'ai entamé des négociations pour obtenir réparation. Il a occulté, râlé puis finalement obtempéré. En quatres petites minutes, la totalité des rondins a sauté et le muret s'est retrouvé nu comme un ver.
Léon est ensuite reparti à ses moutons et moi, à mes occupations. C'était pile poil le moment d'agir
à ma guise.
Et on peut dire que j'y ai mis tout mon coeur. Pendant deux jours, j'ai gratté le ciment et enlevé toute la mousse en transpirant à grosses gouttes.
Puis j'ai sauté dans ma décapotable et foncé chez Brico-Dépôt. J'y ai choisi, sur les conseils du vendeur, une peinture siloxane 100% conditions extrêmes et demandé poliment le rouge de mes rêves. J'ai débord essuyé un refus puis en insistant un peu, j'ai appris que la teinte risquait fort de ne pas être conforme au joli nuancier. Fougeuse et téméraire, j'ai décidé de prendre le risque et je suis repartie avec mon pot estampillé "non garanti" sous le bras.
Arrivée à la maison, j'ai délicatement ouvert le pot avec un tournevis et compris aussitôt la mise en garde du magasin. En lieu et place du E 25-12 désigné, un rose framboise marinait là, devant mes yeux sûrement globuleux. J'en avais deux litres et demi. Il fallait, d'une manière ou d'une autre, trouver une parade. Alors, j'ai attrappé le tube de colorant noir qui m'avait déjà sauvé la vie en juin 2011 et j'ai touillé jusqu'à ce que le résultat ressemble peu ou prou à la couleur imaginée.
Jeudi dernier, après avoir lavé le ciment au jet d'eau, j'ai peint quasiment non-stop de 12h30 à 18h30. Lessivée, je me suis couchée en me disant que j'étais bigrement contente de moi et qu'au moins, j'aurais la satisfaction de pouvoir clamer haut et fort :
C'est-moi-qui-l'ai-fait.
Une façon comme une autre de bousculer ma jauge à confiance en pleine déficience.
Finalement, j'ai obtenu exactement ce que je souhaitais et le jardin est illuminé, même par temps de pluie, comme aujourd'hui.
Je suis aux anges.
Et Léon m'a félicitée.