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Le petit monde de Cocotine
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14 septembre 2012

Capituler ?

En 2008, alors que j'expliquais à ma conseillère ANPE que j'étais déterminée, malgré les embûches évidentes, à trouver un poste de gestionnaire commerciale, j'ai obtenu cette réponse teintée d'horreur :

Mais vous allez vous épuiser !

Quatre ans après, je suis bien obligée d'admettre qu'elle avait fichtrement raison.

Je suis rincée.

Quand en septembre 2005, je suis revenue de Chine avec mon petit bout de femme, j'ai filé à la crèche pour quémander une place : "Je cherche du travail, j'ai besoin de faire garder ma fille." et pour tout encouragement, je n'ai eu droit qu'à :

"Vous n'avez pas de travail,
vous n'êtes pas prioritaire."

Une fois rentrée chez moi, je me suis sentie prise au piège mais très obstinée, j'ai tout de même continué à examiner les offres à la loupe en cherchant celle qui pourrait me permettre d'avoir enfin ce deuxième salaire nécessaire sans abandonner ma fille.

D'autres y arrivaient bien,

pourquoi pas moi ?

Pourtant, au gré des humiliations rencontrées, j'ai assez vite capté que, si la chance ne toquait pas à ma porte, l'histoire risquait de s'éterniser.

Très clairement, cette enfant que j'avais attendue onze ans et qui était mon plus grand bonheur était considérée comme un handicap par des recruteurs qui n'avaient visiblement cure de mon parcours du combattant - et auprès desquels je me gardais bien de gémir, l'adoption étant, de surcroît, j'en avais bien conscience, perçue comme un nid à problèmes par quelques crétins - et qui me conseillaient de présenter ma petite fabrique de guirlandes sur mon CV afin "qu'on voie que vous avez fait autre chose". Autre chose

qu'élever un enfant.

Ecoeurée de l'image négative que ces gens qui étaient du bon côté du bureau me renvoyaient de mon désir de voir ma petite famille s'épanouir, j'ai plongé le nez sur ma machine à coudre en attendant que l'heure de l'entrée à l'école sonne.

Ce qui ne m'a jamais permis de gagner ma vie et n'a fait qu'allonger cette période d'inactivité non désirée.

Amèrement, j'ai fini par conclure que j'avais vécu l'arrivée de cette enfant dans de mauvaises conditions puisque, ayant été licenciée et courant à perdre haleine derrière la carrière de Léon, congé parental et autres avantages qui permettent de souffler un peu m'étaient allègremment passés sous le nez.

Je suffoquais sous la pression. La famille avait besoin de ce revenu supplémentaire et je n'étais pas capable de remplir ma mission.

Et l'horloge tournait.

Car face aux brimades du genre "A Nantes, les salaires sont bas. Vous n'aurez jamais plus du SMIC dans votre secteur." et "Les employeurs paient cher pour trouver un mouton à cinq pattes. Mieux vaut oublier les boites de recrutement." ou "Un temps partiel ? Vous n'y pensez pas. Commencez donc d'abord à temps plein et après, vous pourrez demander un temps partiel." ou encore "Avec un enfant et sans voiture, je ne sais pas ce que je peux faire pour vous.", je me liquéfiais un peu plus à chaque instant et voyais venir le jour où plus personne ne m'adresserait la parole car

je serais "trop vieille".

Aujourd'hui, après avoir exploré mille pistes et abaissé mes prétentions de salaire au SMIC, je ne vois pas bien ce que je pourrais encore inventer, à part

renoncer.

Et justement, ce matin, alors que, munie de mes cabas colorés, je filais remplir le caddie, voilà que Valérie Toranian s'est mise à bavarder sur la double journée des femmes (à écouter à 8:24).

Evidemment, mes antennes se sont déployées et j'ai appris qu'une certaine Anne-Marie Slaughter avait publié un article dans The Atlantic cet été qui avait déclenché une polémique :

Ca m'a titillé et de fil en aiguille, en allant ICI et LA, j'ai compris que cette femme avait décidé de quitter un poste très haut placé auprès d'Hillary Clinton parce qu'elle ne parvenait pas à concilier vie professionnelle et vie familiale.

Si quelqu'un d'aussi gâté par la vie se met à lâcher le morceau, comment moi qui suis tombée tout en bas de l'échelle et qui suis loin d'avoir ses moyens, je pourrais encore prétendre aujourd'hui que trouver un poste qui me laisse la possibilité de m'occuper de ma fille est chose aisée ?

J'ai cru que je vaincrais toutes les contraintes qui m'étaient imposées : exil forcé en banlieue d'une ville de province en raison des prix exorbitants de l'immobilier, transports en commun rapides inexistants, refus d'accepter un petit à la halte-garderie plus de deux heures par semaine, rigidité de la mairie qui interdit de laisser un enfant plus de deux heures par jour au péri-scolaire, impossibilité d'assumer une assistante maternelle quand on gagne le SMIC ou moins, parce que très vite, on en vient à travailler pour rien, et brutalité d'un marché de l'emploi qui élimine les populations les plus faibles.

Alors, je n'écris pas dans The Atlantic et je ne fais pas de chronique sur France inter, mais aujourd'hui, sur mon blog à deux balles, je déclare :

It’s time to stop fooling myself.

J'ai mis toute mon énergie, pendant des années, pour essayer de gagner quelques centaines d'euros par mois tout en prenant soin de cette petite fille que je ne suis pas aller chercher à 10000 kms pour la planter dans d'autres bras et visiblement,

j'ai échoué.

Evidemment, j'ai bien imaginé me détendre et profiter de ses premières années en me disant que lorsqu'elle serait un peu plus grande, je retournerais attaquer le marché de l'emploi. Mais à 42 ans, je savais pertinnement que j'avais une épée de Damoclès au-dessus de la tête et qu'aucun recruteur ne me ferait de cadeau si je traînais trop dans les biberons.

Le plus blessant, finalement, c'est qu'à l'instar de mes ex-collèques de la FPT, certains se permettent de juger mon envie de retravailler par rapport à l'activité de mon mari et j'ai parfois entendu cette question pleine de sous-entendus que je trouve franchement déplacée et qui n'est jamais, d'ailleurs, posée à aucun homme :

"Mais t'as vraiment besoin de travailler ?"

Eh bien, oui, je ne suis pas Anne-Marie Slaughter, et moisir au SMIC dans un bureau pitoyable de la FPT, je l'ai fait pour gagner de l'argent, pas pour me faire plaisir.

Aujourd'hui, cette quête, qui me paraît pourtant légitime, est trop dure, et comme, surtout, elle m'apparaît vaine, je suis à deux doigts de

capituler,

ce qui m'évitera peut-être ulcère ou cancer.

Et pourquoi pas pour retrouver Léon qui, lui, n'a jamais changé son rythme de vie depuis sept ans qu'on a le grand bonheur d'être parents ?

Ce qui m'assurera une dépendance totale, une situation que j'ai toujours détestée et refusée pour plusieurs raisons tout à fait pertinentes à mes yeux.

En bonne vieille peau aigrie, je n'aurais plus, alors, qu'à continuer à baratiner sur

la ringardise absolue
de cette société française.

A 20 ans, je croyais pouvoir tout avoir. Avec les années, j'ai déchanté.

"Peut-être, pense-t-elle, le moment est-il venu de dire la vérité aux jeunes femmes qui sortent aujourd'hui, plus nombreuses encore que les hommes, des universités : non, vous ne pourrez pas tout avoir, pouvoir, amour, maternité et bonne conscience. On nous a menti. Vous devriez pouvoir tout avoir. Mais tant que la société sera, économiquement et socialement, organisée comme elle est, c'est-à-dire par les hommes, ce sera très difficile."

Sylvie Kauffman, Le Monde, retraçant les propos de Anne-Marie Slaughter

Tout ça me colle une migraine du diable et me donne juste envie de présenter cette requête à Bouddha : dans ma prochaine vie, je veux être un homme.

Assurer mes arrières, ça me semble sage, car je ne suis pas sure que les mentalités changent de sitôt.

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Commentaires
E
En même temps, je n'ai hélas pas d'enfant, par choix après avoir compris après un énième CDD qu'il serait élevé grâce à l'aide sociale et que j'allais lui offrir un très mauvais départ dans la vie (bon, ça c'est la version raccourcie). En plus je voulais adopter mais pensez donc, sans conjoint ni boulot, suis pas Jeanette Bougrab<br /> <br /> <br /> <br /> Bref, mon CV est plein de trous (autre nom pour période sans emploi), et c'est tout juste si les conseillers de PE ou de structures privées ne me conseillent pas de m'en créer un pour justifier ces carences.<br /> <br /> <br /> <br /> Bref, ne baisse pas les bras. Tu peux lever le pied si tu veux mais c'est tout. Tu as peut-être 40 je-sais-plus-combien-d'ans (lol) mais il te reste encore du temps à bosser, des trucs à apprendre et des connaissances à transmettre. Et pas que à ta fille.<br /> <br /> <br /> <br /> Non mais !! <br /> <br /> <br /> <br /> Bon WE. Pour moi en principe une marche de 10 km. Si la météo le veut bien. Et si mes jambes le veulent bien aussi. ;)
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