Sans doute à cause du bouleversement qui vient d'avoir lieu dans l'hexagone, je n'arrive plus à aligner deux mots depuis dix jours. Ce déversement de normalité après des années d'hyper-activité, ça m'a flanqué un coup au moral et quand j'ai vu notre ancien président prendre le tapis rouge dans le mauvais sens, j'ai presque failli chialer dans mon canapé usé.
La dépression post élections.
Et puis, lorsque j'ai constaté, ébahie, que celui qui descendait les Champs Elysées en C5 hybride était déterminé à mouiller sa chemise, j'ai finalement repris goût à la vie. Après tout, cette touche sobre, c'était pile poil ce dont je rêvais lorsque j'assistais, penaude, aux frasques des Morano-Besson-Lefebvre. La vie de la République était enfin redevenue
normale,
quoi de plus palpitant ? Totalement rassurée quant à la prochaine réussite de mon pays bien-aimé, j'ai replongé le nez dans mes 65 grammes de purée-jambon et-pas-plus-sinon-je-vomis, rapport à la tourista violente que j'ai attrapée dans le Morbihan et qui m'a collée une mine de papier mâché pendant deux jours.
Bercée par la certitude de n'être plus considérée comme un parasite de la société au vu du projet de suivi des demandeurs d'emploi récemment proposé par Pôle Emploi, je suis toutefois partie dans des spéculations sans fin. Après huit mois de bons et loyaux services dans la Fonction Publique Territoriale du double four* et compte-tenu de mes antécédents douteux estampillés très-longue-durée, dans quel clan allais-je être propulsée :
1 - les recasables puisque juste expulsés, gentiment décrits comme "proches du marché du travail et autonomes"",
2 - les moit'-moit', comme dirait Miss Cocotine, qui végètent un peu, mais pas trop, et qui ont donc "besoin d'avoir un appui régulier",
3 - ou les gros losers comme je l'étais il n'y a pas si longtemps et qui, eux, bénéficieront de "l'accompagnement renforcé".
Telle était la question que se posait la fille normale que je pensais être quand tout-à-coup, lundi soir, en passant derrière un Léon du genre fesses-scotchées-au-club-entre-20h-et-20h30 pour aller superviser un brossage de dents qui oscille encore entre douze secondes et douze minutes à huit ans et deux mois malgré un plan de formation bien verrouillé, j'ai capté cette phrase :
"Dès qu'on touche à ce qui est de l'ordre du commercial, c'est-à-dire faire prendre des vessies pour des lanternes - là, vu mon back-ground dans les milieux de la vente, j'ai mis mes oreilles en mode doberman-au-taquet - je me retrouve totalement inhibé, je ne sais pas faire. La relation avec les autres, elle doit être honnête, elle doit être franche, elle doit être profonde, elle doit être intense et dès qu'on est dans un autre registre... alors professionnellement, c'est une catastrophe."
Là, j'ai stoppé net. Ce type était mon clone et il fallait de suite en informer Léon d'un tu-vois-je-pense-exactement-comme-lui suivi d'un c'est-pour-ça-que-je-n'arrive-à-rien censé tout expliqué sur mon mal être récurrent et mes échecs permanents, et m'enquérir du sujet abordé d'un c'est-quoi-ce-truc-? que ledit Léon ponctua d'un
c'est sur les surdoués.
Concluant d'un ben-voilà-c'est-ça-mon-problème désabusé, j'ai grimpé mon escalier en me demandant ce que mes parents avaient bien pu coller dans le cocktail pour en arriver à me créditer d'un QI détecté par trois fois comme étant bien au-dessus de la moyenne, découverte à ce point glamour qu'elle m'a valu d'être ensuite regardée comme un alien rose à pois rouges avec LED intégrés par les découvreurs en question.
Et c'est mardi que cette histoire à deux balles est revenue sur le tapis. Mon toubib, à qui je venais juste demander du Tiorfan, s'est mis à tout me déballer sur l'une de ses patientes qui, à la suite d'un harcèlement personnel suivi d'un professionnel, a sombré dans la dépression pendant dix ans, et qui a remonté la pente brillamment après avoir découvert que son malaise venait du fait qu'elle avait un QI élevé. Et de conclure que, du coup, elle avait repris ses études et qu'elle était en passe de devenir juge.
A la pensée du bureau minable dans lequel je crève à petit feu depuis des mois, cette histoire, si positive soit-elle, m'a plombée, et je m'en suis voulu de n'avoir jamais eu, moi aussi, ce déclic insensé.
Le soir venu, sans conviction et pour alimenter la conversation, j'ai tout exposé à Léon, qui, saisissant à pleines mains la perche qui lui était lancée, m'a rétorqué :
Bon, alors, quand est-ce que
tu reprends tes études ?
Agacée par cette bouse ayant atterri sur mes plantes-bandes déjà bien crados, j'ai décidé de bouder, et toute seule dans mon coin, je suis partie en quête d'informations sur ces 2% de la population qui semblaient plutôt se débattre que d'exploiter pleinement ce cerveau conçu bizaremment.
J'ai alors découvert que ma zone frontale et ma zone pariétale avaient apparemment des problèmes de liaisons trop rapides et la gentille voix off de ce reportage diffusé lundi dernier sur France 2 m'a confirmé qu'un QI élevé n'était pas gage de réussite. Il était d'ailleurs annoncé qu'un tiers de cette population triomphait à l'école, un tiers naviguait dans la moyenne et l'autre était en échec.
Mais c'est bien plus la fin du reportage qui a perturbé ma bande de neurones dégingandés, car il était expliqué que certains gros QI souhaiteraient que leur handicap soient aujourd'hui reconnu.
Là, j'ai pris peur. Moi qui crèvais d'envie d'être hype, j'allais ainsi peut-être être tamponnée :
anormale
au moment même où le fait d'être normal devenait supra-hyper-mega tendance.
C'était vraiment trop injuste. Alors, j'ai continué mon enquête et au fond des archives de RTL, je suis tombée sur un témoignage rassurant : une fille qui en avait bavé toute sa vie en raison d'un cerveau au fonctionnement aussi insolite que le mien, et qui avait enfin trouvé sa voie en patinant des meubles.
Mon avenir s'est soudain illuminé. Après tout, patiner étant un art dans lequel j'excellais après des années de recherche d'emploi effrénée, j'allais enfin pouvoir annoncer à la terre entière, et surtout à Léon, que j'entreprenais une énième reconversion.
Le tout étant de ne pas tomber dans le cirage.
Bon week-end avec ou sans pont,
et merci mille fois
de m'accepter malgré mes tares.