A quand le ciel bleu ?
Sale temps pour la Cocotine's family. Depuis quelques mois, l'homme et moi, on se serre les coudes sous le coup des attaques extérieures venant nous rappeler bêtement ou méchamment que notre fille a été conçue par un autre couple. Chose que, pris dans le tourbillon du quotidien, il nous arrive tout simplement d'oublier.
Pendant environ six mois après notre retour de Chine, nous avons été plusieurs fois agressés par de pauvres nigauds comme ce type qui en pleine queue d'Auchan m'avait lancé froidement en désignant ma fille d'un coup de menton : "Amérique du sud ?".
Ou cette dame-bien-comme-il-faut-comme-dirait-ma-mère qui en plein restaurant, nous a crédités d'un fantastique : "Nous avons des amis qui ont aussi adopté en Asie et vraiment, ce sont des petites filles extraordinaires. Vous en obtiendrez beaucoup de satisfaction.", me laissant abasourdie tant la confusion entre l'adoption d'un enfant et l'acquisition d'un jouet garanti satisfait ou remboursé faisait peine.
Fatigués par la sottise de ces remarques et l'impolitesse de ces questions, nous avons peu à peu changé d'attitude. De la béatitude et l'ouverture, nous sommes passés à l'ignorance totale des regards appuyés présageant des chapelets d'allusions stupides. Tout bien réfléchi, notre histoire n'avait pas à être donnée en pâture à des fauves abreuvés de Delarue et donner des cours sur l'adoption nous semblait épuisant et vain.
Ainsi, pendant un temps, nous n'avons plus eu à nous plaindre de l'incursion des autres dans notre vie privée.
Jusqu'à cet automne où tout est parti en vrille à l'école, ce qui nous a poussés à nous recroqueviller.
Cependant, si j'en crois ce qui nous est arrivé cette semaine, je me dis que le vent n'a décidément pas fini de souffler sur notre petite cellule familiale.
Loin d'en mourir d'envie, j'ai cependant accepté l'invitation d'une enfant de l'école. Je ne connaissais pas bien les parents mais a priori, aucune raison de ne pas leur accorder ma confiance. J'ai débarqué chez eux avec Miss Cocotine, toute contente. Le père était là. Je ne l'avais jamais vu. On a échangé quelques politesses d'usage puis soudain, il a regardé ma fille et m'a interpelée :
- Elle vient d'où votre fille ?
En cours de liquéfaction, je lui ai répondu :
- Pardon ?
Il ne s'est pas démonté et a réitéré, le tout devant les deux gamines, démontrant ainsi à sa fille qu'on pouvait sans vergogne violer verbalement l'intimité de ma fille :
- C'est une enfant adoptée ? Elle vient d'où ?
Et moi qui, sous son ton péremptoire, ai été assez gourde pour m'aplatir et lui marmonner :
- De Chine.
Je suis partie les boyaux emberlificotés en laissant ma petite, priant pour qu'elle n'entende pas d'autres absurdités en mon absence.
Je m'en veux horriblement de n'avoir pas été à la hauteur et de m'être pliée sans avoir su clouer le bec à ce goujat.
Les agressions viennent systématiquement quand on s'y attend le moins. Il faut apprendre à y faire face et surtout, il faut réussir à armer Miss Cocotine pour qu'elle en souffre le moins possible.
Espérer qu'on nous traite comme les autres relève apparemment de l'utopie doucement cultivée par certaines minorités qui ne cherchent pas à se faire remarquer.
J'ai vécu 40 ans de Madame-tout-le-monde-ou-presque. Depuis 6 ans, je suis en apprentissage CAP parent-adoptant. Et je ne désespère pas d'aller jusqu'au doctorat.
Encore une leçon de vie que je reçois grâce à cette enfant adorable qui ne nous ressemble pas physiquement mais qui nous apporte un peu plus de richesse chaque jour.