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Le petit monde de Cocotine
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17 décembre 2009

Des vies qui se croisent

3 septembre 2005, 18h05, Roissy-Charles-de-Gaulle.

L'homme et moi, le regard fixé sur l'écran.

Air France AF126. Beijing 18h55. On time. Boarding at 18h10.

Le vol de notre vie. Notre petite fille, notre premier bébé, nous attend à Changsha, province du Hunan. Après-demain, on l'aura dans les bras. Heureux et assez anxieux, on pénètre dans l'avion et on s'installe.

Des soupirs lancinants attirent notre attention. A gauche, derrière nous, assis au centre, un homme. Chinois apparemment. C'est lui qui gémit. Debout, deux gars l'encadrent. On trouve ça étrange mais sur le coup, on ne comprend pas. Au fur et à mesure que l'avion se remplit, le râle s'amplifie et l'atmosphère s'alourdit. Quelques personnes se retournent, la plupart s'enfoncent dans leur fauteuil.

On finit par capter. C'est une expulsion.

Les messages d'usage retentissent. Soudain les choses s'accélèrent. L'homme se met à hurler et se débat. Les deux policiers sortent leurs brassards et le maintiennent assis tout en maitrisant leurs gestes au maximum car autour, les yeux s'écarquillent.

Nous, on part chercher notre fille, d'autres sont en voyage d'affaires ou en vacances. L'ambiance devient insoutenable pour des gens ordinaires qui tout à coup, sont confrontés malgré eux aux forces de l'ordre et à la violence.

Prise de conscience forcée et brutale.

Ca se met à tourner dans ma tête. Mais c'est qui, ce type ? Qu'est-ce-qu'il a fait ? Pourquoi il est là ? Que va-t-il lui arriver à sa sortie de l'avion ? Mon sang se glace.

Brusquement, comme un polichinelle qui sort de sa boite, l'homme, à bout de nerfs,  se lève et au milieu des passagers étonnés, s'adresse aux policiers et déclame : "Messieurs, faites quelque chose, ce n'est pas pas possible, c'est insupportable !"

Je me demande quelle mouche a bien pu le piquer, lui tire la manche et lui dis de s'asseoir. Il n'écoute pas. Un steward vient le calmer. Pour justifier cet éclat, je lui raconte bêtement ma vie : "Excusez-le. Il est sur les dents. On part chercher notre fille." L'homme se recale dans son fauteuil. Je lui remonte les bretelles en catimini et il finit par s'adoucir.

Heureusement. Comment on appelle ça déjà ? Entrave à... euh... entrave à décision de justice. C'est plutôt grave.

L'homme, derrière nous,  gémit de plus belle. Les gens finissent par craquer. Une émeute fomente et quelques personnes se lèvent. L'une d'elles appelle les passagers à la révolte : "Levez-vous ! C'est inadmissible. Si on se lève tous, ils seront obligés de le débarquer."

Le commandant de bord quitte son cockpit et déboule s'expliquer avec les rebelles, leur intimant l'ordre de boucler leur ceinture. Il ne peut pas décoller tant que des passagers sont debout.

Personne n'obéit. L'avion reste  cloué au sol.

Vingt minutes après, d'autres  policiers débarquent dans l'avion et font descendre le passager expulsé. Mais ils ne s'arrêtent pas là et demandent au commandant de bord de désigner les fameux rebelles qui à l'instant même où ils s'apprêtaient à crier victoire, se voient sommés de quitter l'avion sur-le-champ. Leurs bagages sont eux aussi débarqués. Ils auront à expliquer leur prise de position à  la police et se verront probablement poursuivis pour obstruction à décision de justice.

Tout le monde reste bouche bée.

Avec tout ça, ça fait une heure et demie qu'on est collés au tarmak. Ce départ manqué a engendré un problème technique et l'équipage nous informe qu'il faut également remettre du kérosène. Plongés dans une semie obscurité, on attend que le voyant lumineux défectueux soit réparé. D'ors et déjà, on sait que notre correspondance à Pékin est ratée.

A 22h, avec trois heures de retard, l'homme et moi, on décolle enfin pour la Chine. On a eu chaud. Si l'homme en avait rajouté une couche, c'est nous qui serions restés scotchés au poste de police de Roissy...

J'ai eu maintes fois l'occasion de repenser à cet épisode épique et triste qui m'a beaucoup marquée par sa violence.

Samedi soir encore, je me suis à nouveau interrogée sur le sort réservé à tous ces gens qui cherchent juste une vie meilleure. Rien n'est simple bien sûr et je n'ai aucune solution à proposer. Je pense simplement que chaque cas est unique et que derrière des chiffres affichés par un gouvernement, il y a juste des histoires singulières et cruelles, pleines d'espoirs, tristes souvent et dramatiques parfois.

A la place de ces gens qui en sont juste à se demander comment ils vont sauver leur peau, que ferions-nous ?

Calais est loin de chez moi mais cette expérience et ce film m'ont permis d'alimenter ma réflexion sur ce sujet brulant.

Il me semble que mesurer ses propos évite de tomber dans l'indécence.

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Commentaires
F
Je n'arrive pas à ne pas me révolter... et je crois que c'est même d pire en pire, ma révolte grandit avec les mois qui passent...
A
ton post m'a beaucoup ému .....c'est vrai que le max d'hormones que je me balance me sensibilise mais ça n'est pas de la sensiblerie et cette souffrance dont tu parle me tire vraiment les larmes des yeux .... comme pour ces afgans qu'on renvoie chez eux.
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