Clair et net
Lors de cette douce parenthèse, je n'ai pas rencontré que des vieilles pierres, des auberges divines et des paysages époustouflants.
J'ai aussi croisé des êtres humains.
Je sais, je suis une fille étonnante.
De vieux copains, des bouts de famille, des gens que j'aime et que je ne peux pas voir aussi souvent que je le souhaiterais. Et puis d'autres, des petits nouveaux avec qui j'ai senti qu'on pourrait accrocher les wagons si nos chemins ne faisaient pas que se croiser pour quelques jours d'été.
Trop dommage.
Parmi eux, cette prof d'histoire qui nous a enchantés à la table d'hôtes du Mas Lou Abeilhs et qui, en aparté, est venue me dire que ma fille lui faisait penser à la sienne, adoptée en Corée il y a 24 ans.
En aparté.
Car rien ne m'ennuie plus que de me sentir pointée du doigt et obligée de déballer mon histoire d'adoption devant un auditoire avide de détails croustillants.
Heureusement, mis à part ce rustre à qui on a acheté des abricots sur le marché de Souillac et qui nous a lancé votre-fille-elle-est-très-typée et ce père de famille qui s'est approché du banc où l'on écoutait tranquillement du jazz pour nous lâcher elle-vient-d'où et qui, comme je lui jetais le nom de mon bled du 44 en pitance, a cru judicieux de se tourner vers Miss Cocotine pour lui reposer la même question, la plupart des personnes cotoyées cet été nous ont traités comme les autres, ce dont je leur sais gré, car nom d'un chien,
être traitée comme les autres,
c'est vraiment ce que, considérant ce cas précis, je trouve le plus exaltant.
La nouveauté dans tout ça, car nouveauté il y a, c'est que Miss Cocotine commence à affronter la situation seule et à répondre aux curieux sans notre aide. Ce qui signifie que ce qu'on lui a expliqué - après avoir ingurgité des années de psy spéciale adoption -, à savoir que son histoire n'appartenait qu'à elle, qu'elle ne devait pas se sentir obligée de l'étaler sur la place publique à chaque fois qu'un inconnu l'interpellait et qu'elle en parlait seulement si elle le désirait, à qui elle voulait et quand elle le choisissait, a pris racines.
Il s'agit juste de lui apprendre à jauger la situation pour qu'elle souffre le moins possible de ces agressions qui, en montrant sa différence physique du doigt, la ramènent certainement ou, en tout cas, peuvent la ramener, dans son coeur, à son abandon. Ce qui, apparemment, passe complètement au-dessus de tous ceux qui s'accordent tout pouvoir pour l'interroger.
Et, hier soir, après quelques jours de centre de loisirs, elle m'a raconté qu'elle avait eu de petits soucis :
Miss Cocotine, visiblement fatiguée : Y'a une grande de 8 ans, elle me demande tu-viens-d'où, t'es-chinoise, t'as-des-frères-et-soeurs, t'es-la-seule-chinoise, toute la journée, Maman, elle dit ça.
Moi tâtant le terrain : Et alors, tu lui réponds ?
Miss Cocotine avec une diction on ne peut plus parfaite, pour une fois : Ben, oui, je lui ai dit
tu me pompes l'air.