Mon parcours terrestre était-il voué à prendre fin en cette semaine 34 de l'an 2009 ? C'est bien la question qui m'a taraudé vendredi de 13h45 à 19h00.
Réveillée à 2 h dans la nuit de jeudi par des coups de poignards côté gauche, je m'affole : "C'est quoi, ce truc ? Ca y est, j'ai le coeur qui flanche." En ne bougeant plus, j'arrive tant bien que mal à me rendormir. 7h10. Les douleurs sont toujours là et même plus violentes. J'appelle le 15 qui me conseille de consulter de suite. Je me traîne dans la salle d'eau. D'accord pour mourir mais pas question d'être sale. L'homme n'a pas l'air emballé pour rester m'aider. Je le réquisitionne : "J'ai besoin de toi. Tes macarons attendront."
8h20. Miss Cocotine est déposée au centre aéré et je file au cabinet médical, pas fière. 45 minutes à attendre que mon toubib se rase et s'habille et le voilà qui, d'un ton badin, me lance : "Vous n'avez jamais fait de pneumothorax ?" "De quoi ?" Je gamberge vite. Pneumo. C'est pas le coeur. Il plaisante et me rassure : "Le tunnel blanc, c'est pas pour tout de suite." Il me prescrit du repos, un anti-douleurs et m'expédie faire une radio des poumons par précaution.
Le radiologue, qui, lui, ne rentre pas d'Espagne tout bronzé, est nettement moins détendu dans son discours et je passe vite des rayons à l'échographie. Une chose l'inquiète côté plèvre. "La plèvre, nom d'un chien, c'est quoi, ce truc ?" En 12 minutes, j'apprends tout sur le fonctionnement des poumons. Au final, il préconise d'aller plus loin dans l'investigation pour s'assurer que ce n'est pas embolie pulmonaire et conclut par un : "Je préfère vous dire ça plutôt que de vous voir dans le journal dans deux jours" qui me laisse perplexe quant à mon avenir proche.
Son rapport tapé en gras souligné sous le bras, je cours revoir mon généraliste qui conclut : "OK, je vous envoie aux NCN." "Euh, c'est quoi, un endroit tendance ?" Non, c'est juste les Nouvelles Cliniques Nantaises.
Vers 13h15, je me pointe à l'accueil des urgences : "C'est mon médecin qui m'envoie. Pour écarter les risques d'embolie pulmonaire." En un clin d'oeil, la fille m'ouvre grand la porte et je me vois créditer d'un péremptoire : "Allongez-vous tout de suite. A partir de maintenant, vous ne vous levez plus. Les conséquences pourraient être très graves. Votre vie même peut en dépendre."
En quelques secondes, je me retrouve sous surveillance d'un moniteur, des fils multicolores plein la poitrine. J'ai l'impression d'être dans un mauvais soap. Ca sent le roussi. Je pense à l'homme qui m'a lâchée pour aller travailler. Interdiction d'utiliser le portable. L'infirmière me prête son fixe. Je quémande du réconfort. Je récolte juste un grand moment de solitude. En raccrochant, je me demande comment j'ai bien pu faire pour me marier avec cette brute épaisse qui pas une seule fois en 17 ans n'a éprouvé la moindre compassion quand j'étais malade.
Un box se libère. Pose d'un cathéter. 4 tubes de sang en moins. Un médecin débarque pour faire causette. Je comprends à demi-mot que s'il s'agit d'une embolie pulmonaire, c'est pas la tête haute que je sortirai, mais les pieds devant. S'en suivent trois heures à moisir enfermée là-dedans sans bouger. Le regard collé au carré de lumière artificielle, j'ai le temps de mouliner dans tous les sens et de revoir toute ma vie défiler. Je me dis : "Crénom de nom, et si ça sentait le sapin ? Et si cette foutue vie s'arrêtait comme ça ?"
Là, je me dis que c'est pas possible, que je ne peux décemment pas laisser l'homme gérer la maison tout seul, lui qui m'appelle au secours dès qu'il a besoin d'un Doliprane ou d'un savon neuf. Oh, puis flute, après tout, ça le fera grandir et avec mon capital-décès, il pourra embaucher quelqu'un qui choisira le programme du lave-linge à sa place.
Oui mais, Miss Cocotine, elle, elle a vraiment besoin de moi. On ne peut pas être séparées maintenant. Je ne l'ai pas attendue 11 ans, je n'ai pas fait 20000 km pour aller la chercher pour en arriver à une conclusion aussi débile que brutale. Là, c'est fatal. Je me fous à chialer. Et j'ai même pas de mouchoir.
Impossible de savoir quelle heure il est mais j'ai l'impression d'être verrouillée là-dedans depuis plusieurs jours. Mon portable sonne deux fois dans mon sac. Sûrement l'homme qui se rappelle que j'existe maintenant qu'il a bouclé sa journée de travail. Quelques minutes plus tard, l'aide-soignante arrive, son téléphone tendu : "Votre mari". "Alors, t'en es où ?" J'explique. "Tu veux qu'on vienne ?" "Ecoute, tu fais comme tu veux." "Bon, ben, je vais venir." Sur ces entrefaites, un jeune fait coulisser la porte : "Madame, je viens vous chercher pour le scanner." Je me dis : "Enfin de l'action."
Au fil des couloirs, je me laisse pousser en admirant la déco. Au moins, c'est beaucoup plus joli que les hôpitaux anglais. Entrée dans une autre dimension. Quand l'une des filles m'injecte brutalement un liquide non défini, l'autre me prévient que ça va brûler la vessie et la gorge. Je me dis : "Top, comme programme." Pas le temps de réfléchir davantage. Je coulisse, je regarde les petites lumières bleues qui tournent, les jaunes qui s'allument et quand le haut-parleur me hurle : "Gonflez les poumons et arrêtez de respirer.", j'obtempère bravement. La tortionnaire revient et m'injecte l'iode. Là, j'ai le bas du ventre qui s'enflamme et le cou qui se consume. C'est sûr, c'est pas l'embolie qui va me tuer, c'est cette étrange cérémonie. Au brancardier qui me ramène aux urgences et me demande si ça s'est bien passé, je réponds fataliste : "Faut toujours une première fois."
Il est déjà 18h30. L'homme vient d'arriver. Miss Cocotine, étonnée, veut tout savoir sur la vie des urgences et me fait de petits câlins. Ca me réconforte mais je me demande toujours si je vais passer la nuit ici ou s'ils vont me libérer. Vers 19h, le toubib m'annonce enfin qu'il n'y a pas de risque d'embolie. Il me donne ses conclusions et ses directives car l'affaire n'est pas pour autant dans le sac. J'ai toujours mal et je comprends que ça peut évoluer de mille manières. Dans 72h, on verra.
Pour cette fois, je sors la tête haute. Dehors y'a du vent. Tant mieux. J'ai eu chaud.
Bonne semaine à tous et profitez de la vie !