J'ai testé les urgences chypriotes
Miss Cocotine a cette particularité d'avoir la peau qui attire des hordes de moustiques voraces et je ne pars jamais sans mes huiles de géranimum rosat et de lavandula spica.
Mais cette année, ça n'a pas suffit.
Le lendemain de notre arrivée à Lofou, elle avait déjà été attaquée massivement et l'enquêtre que j'ai faite pour retrouver les coupables ne m'a menée qu'à cette conclusion : les specimens du double-four que j'aspire facilement avec mon Black & Decker n'étaient que des petits joueurs, j'avais affaire là à
l'élite du moustique,
quasi invisible et diablement sournois.
A grand renfort de prises toxiques et de moustiquaires de fortune, on a alors tenté de protéger Miss Cocotine. Peine perdue, le troisième jour, la pauvre petite avait encore davantage de piqûres et le quatrième, on en comptait facilement une centaine.
Consulter un médecin devînt, d'un coup d'un seul, la priorité du jour.
Armés de nos jolies
cartes de sécurité sociale européennes,
nous nous sommes donc pointés à l'hôpital de Lemesos et après avoir été bringuebalés de service en service, nous avons échoué aux urgences, là où une quinzaine de personnes attendaient déjà dans un silence éloquent.
Une heure après, rien n'avait bougé.
Une heures plus tard, quelques chypriotes commençaient à montrer des signes d'impatience et les plus agaçés se sont finalement mis à cogner dans la porte verrouillée menant à la salle de soins. De l'autre côté de la cloison, l'une des infirmières a répondu en hurlant.
A ce moment-là, j'ai amèrement regretté de n'avoir pas persévéré dans mon aprentissage du grec et avide de savoir qui allait tuer l'autre, j'ai sollicité mon voisin d'un do-you-speak-English-what's-happening-?.
It's-busy-we-have-to-be-patient,
m'a-t-il refourgué en résumé.
Une heure supplémentaire et la salle était proche de l'émeute, tout le monde mettant son grain de sel dans l'histoire, y compris les policiers en poste dans le bureau flanqué au sein des urgences.
Au bout de trois heures et demie d'attente, l'ambiance était devenue surréaliste, Léon était proche de l'hypoglycémie et Miss Cocotine m'avait déjà assommée de 357 Maman-ça-me-gratte.
Comme j'avais remarqué que de vraies urgences arrivaient régulièrement sur brancard par une autre porte et que je sentais qu'on n'était pas sorti de l'auberge, j'ai décidé de sauver la famille.
On a levé le camp.
Après avoir erré dans Lemesos à la recherche d'une pharmacie ouverte à 14h30, on a fini, fourbus, au kebab du coin, histoire de garder le pater familias en vie. Une fois son estomac rempli et son taux de sucre ragaillardi, je me suis repenchée sur le cas épineux de l'allergie probable de ma fille et c'est là que la providence nous a menés chez un pharmacien qui nous a expédiés à la polyclinique.
En deux temps trois mouvements, Miss Cocotine a bénéficié d'un accueil VIP et une pédiatre l'a examinée de la tête aux pieds puis imbibée de cortisone.
On frôlait l'happy end quand la doctoresse s'est mise à m'expliquer que la nuit qui venait serait déterminante :
"Je souhaite la garder en observation cette nuit. Elle peut avoir la gorge qui gonfle et s'étouffer. On ne sait pas avec une allergie. Si vous la gardez, vous devez vous relayer et la veiller toute la nuit pour voir comment ça évolue. Si elle a de la fièvre, il faut l'amener d'urgence à l'hôpital, vous aurez 20 minutes, pas plus. Et comme vous êtes à Lofou..."
Le sourcil gauche en l'air, j'ai tout de suite analysé l'information. Lofou-Lemesos, c'était 30 minutes et Léon ne maîtrisait pas encore la conduite à gauche, surtout en pleine nuit. Ca sentait le roussi.
Pour m'achever, elle a ajouté :
"I have to tell you."
Là, j'ai regardé Léon qui, pas angoissé pour un sou, m'a crédité d'un mais-non-ça-va-aller auquel j'ai répondu d'un oeil foudroyant. Sa fille était potentiellement mourante et ça ne le bouleversait pas plus que ça. Remettant à plus tard l'intention de lui règler son compte, j'ai filé à l'accueil pour m'enquérir du coût d'une nuit à la clinique et essayé, sans espoir, de leur refiler ma carte toute neuve. Evidemment, ça n'a pas marché.
J'ai payé la consultation, salué le service en promettant de rappeler deux heures après pour donner des news, filé acheter les médicaments et remballé ma gamine à pois pour lui prodiguer les soins préconisés, là-haut sur ma colline bien-aimée.
En fin de soirée, le médicament ayant fait son effet, Miss Cocotine avait cessé de se gratter et recommencé à faire les 400 coups. J'ai téléphoné, comme promis, au médecin qui m'a rassurée. Ca ne m'a pas empêchée tout de même de me lever toute la nuit pour vérifier son état.
Léon, lui, a dormi comme un plomb.
Au petit matin, les cernes creusés, je l'ai interpellé d'un eh-ça-t'a-pas-trop-ému-les-recommandations-du-toubib-? et sans l'ombre de la moindre gêne, il m'a rétorqué ben-je-me-suis-levé-aussi-ben-si-!. Je lui ai lancé un sans-blague et j'ai soupiré en me disant Zeus-seul-sait-si-c'est-vrai.
Le temps de se remettre de ces émotions et les vacances ont vraiment commencé.