Noir sur blanc
Lundi, d'humeur boudeuse, je me suis adonnée à l'un de mes plaisirs favoris qui est d'aller fureter à la bibliothèque. C'est comme ça que j'ai posé la main sur ce livre.
Une insomnie m'a permis de me plonger au coeur d'un univers que je connais très bien pour en avoir été souvent LA CLIENTE.
5 ans et demi que j'ai déboulé dans le double four non par envie mais par obligation, pour suivre l'homme qui, lui-même, cherchait à se refaire après deux licenciements très rapprochés dans le temps mais très éloignés géographiquement.
Amnésique par instinct de survie, j'ai persisté à croire en ma bonne étoile et multiplié les actions douces et les opérations commando. Je me suis battue envers et contre tout. Contre des systèmes bien verrouillés, des réseaux très protégés, des portes blindées, des humains robotisés vissés dans leurs privilèges.
En échange, je n'ai récolté que mépris, humiliations et brimades.
Au fil des années, plutôt docile, j'ai tout tenté jusqu'au coaching bidon dont on peut se demander s'il n'aurait pas pour seule vertu que de remplir les poches de ceux qui profitent à fond du secteur pseudo-formations-et-bilans-de-compétences-qui-flattent-juste-l'ego.
Ma conseillère ANPE était devenue une sorte de rendez-vous indispensable tout simplement parce que personne d'autre qu'elle ne m'écoutait et que ces échanges rapides et sans saveur m'imposaient un rythme qui me permettait de tenir le coup.
Pourtant, elle m'en faisait baver. "Vous devriez changer de secteur. Vous allez vous épuiser. Vous devriez faire de la soudure."
J'en sortais ratatinée comme une vieille pomme avec la tentation de l'envoyer au diable, de briser ce lien ridicule et infructueux. Après tout, je ne percevais pas un centime d'indemnisation et son regard désespéré prouvait à quel point elle doutait de son utilité.
Son but ultime, je le discernais bien, c'était de me RADIER. Cataloguée chômeuse de très longue durée, je représentais son cauchemar absolu. En pauvre marionnette, elle n'avait guère le choix.
Et cette fusion en prévision, je sentais à quel point ça la déstabilisait.
A certains moments, on ne savait plus qui d'elle ou de moi devait être le plus réconfortée et aidée. Alors on désamorçait en plaisantant et déblatérant tout doucement.
Ni elle ni moi n'étions dupes.
Assurément, il fallait lutter et ne pas lui faire ce plaisir, à celui qui commanditait tout ça. Abdiquer et disparaître des listes, c'était lui servir de jolies statistiques sur un plateau doré.
J'ai lutté.
Un temps.
Et puis, petit à petit, l'éventualité que je n'arrive jamais à retrouver un poste s'est ancrée en moi et j'ai lâché prise.
J'ai disparu, comme il l'avait souhaité.
Je fais partie des milliers de demandeurs d'emploi bien réels mais évincés du système. Ca fait belle lurette que je m'en doutais mais cette nuit, je l'ai vu écrit noir sur blanc.
2010 touche à sa fin et l'heure des bilans va sonner.
Un salaire mensuel comme salaire annuel, et relativement minable, qui plus est. Pathétique.
Je n'ai plus une once d'énergie. Comme-qui-dirait, il m'a tuée.