De mon enfance dans le neuf deux, on pourrait tirer un film intitulé :
"Tout le monde n'a pas eu la chance
d'avoir des parents réac"
Ma mère était jolie et très élégante. Le summum du bon goût, pour elle, c'était le bleu marine. L'apparence était fondamentale. Elle s'accordait le coiffeur une fois par semaine, ses deux enfants mettaient une culotte propre chaque jour, la raie sur le côté était de rigueur et les oreilles décollées soigneusement dissimulées. Ca lui tenait à coeur.
Elle briquait sa maison comme Cendrillon, était au garde-à-vous devant l'école, faisait les trois lits au carré avant 9h30, lavait les mille voilages du cinq pièces tous les mois, faisait régulièrement reluire sa collection de cuivres et louait une shampoingneuse pour décaper la moquette tous les semestres.
Elle courait de Casino aux Boucheries Bernard pour blinder le réfrigérateur et gavait la famille de surprises à la Ginette Mathiot. Du lapin sauté aux saucisses de Francfort à la tête de veau vinaigrette en passant par des soufflés au fromage à la tenue exemplaire, elle frisait la perfection.
De ses voyages à l'étranger, elle ramenait toujours des torchons et des tabliers colorés et la fête des mères se jouait au Salon des Arts Ménagers.
Tous les samedis midis, mon père obligeait la famille à manger de la viande hachée baignée dans un bol de Bouillon Cube brûlant. C'était bon pour la santé, il en aurait parié sa chemise. Et puis ça lui collait une force de cheval pour jouer son match de foot.
Car tous les week-end sans exception, qu'il vente, qu'il pleuve, qu'il neige, à Louveciennes ou ailleurs, ma mère usait docilement ses Salomés dans des tribunes douteuses et se colletait la sortie des vestiaires, flanquée de sa belle-famille au grand complet. Même si la troisième mi-temps se jouait au château, elle trouvait que l'ambiance n'était pas chic du tout. Mais elle se taisait.
L'argent de la semaine était délicatement déposé sur la commode de l'entrée. Point de compte-joint mais séparation des biens. Ma mère votait à droite, comme son mari. Ca faisait bien, et de toute façon, ses convictions, elle les partageait forcément. A la maison, on était Peugeot, on regrettait l'Algérie française, on clamait que les soixante huitards étaient de sombres dégénérés et Dave qui hurlait Vanina, un suppôt du démon.
Pour s'encanailler, ma mère écoutait Aznavour, Julio Iglesias, Yves Montand ou Michel Delpech. Une fois l'an, mon père sortait son vieil électrophone et se passait des chants para.
Le comble du subversif, pour ma mère, c'était d'avoir une Cocotte-Minute, un New Man pattes d'éph' moule-cul et d'être abonnée à Elle.
A quarante ans, elle se toqua soudain de retravailler parce que la voisine du quatrième lui bourrait le mou en lui racontant combien elle s'amusait avec ses collègues sténo-dactylos, mais mon père lui coupa net ses élans d'émancipation d'un cruel "Ca va nous faire sauter une tranche d'imposition.".
Mes parents n'avaient point de débats d'idées. Les conversations, au dîner,
étaient plutôt centrés sur les enfants. Elle racontait sa journée au foyer. Il
restait la tête dans ses histoires de banquiers. Ca sentait l'ennui à plein nez.
Ma mère ne voyait aucun intérêt à refaire le monde et recourait, en cas de nécessité absolue, à force il-faut-y'a-qu'à. Elle avait une liste de principes, de préjugés et de tabous longue comme un jour sans pain et s'y accrochait, bien droite dans ses escarpins. Sa vie se résumait à accomplir les basses besognes du quotidien et répondre aux desiderata de son mari. Rien qui colle une ouverture d'esprit diabolique.
Un jour où elle agitait du mini Mir, j'ai débarqué dans la cuisine et je lui ai dit : "Mais tu te rends compte qu'on est sur une petite boule qui tourne en rond dans un univers infini ?" Les Mapa se sont figés, son regard s'est troublé et submergée par la panique, elle m'a répondu : "Va voir ton père."
J'avais 10 ans. Entre elle et moi, le dialogue de sourds, c'était parti pour la vie.
Elle se voulait et se pensait mère parfaite. Elle m'avait même donné le sein.
C'est la première MAF que j'ai connue.
A 12 ans, pour moi, tout était limpide. On ne pouvait pas être femme et mère à la fois. Etre mère, c'était forcément passer ses journées entre O-Cédar et Monsieur Propre. Alors non merci, je n'aurais jamais d'enfant et je travaillerais pour avoir des choses à raconter à mon
mari le soir. Je serais une femme. Une femme libre.
C'est vous dire si le titre : "Le conflit, la femme et la mère " m'a mise dans tous mes états.
Ce livre, je l'ai dévoré mais arrivée à la dernière page, je n'ai toujours pas compris pourquoi il a généré tant de débats houleux. A mes yeux, c'est juste un historique et un état des lieux de la condition féminine. J'ajouterais même un appel au respect des autres.
Les extrêmes en tout genre me font fuir. Je ne me sens pas plus proche de la femme persuadée qu'accrocher un enfant à ses seins jusqu'à six ans est vital que de celle qui a les dents si longues qu'elle fait élever sa progéniture par des nurses, même si chacune d'elle doit forcément avoir de bonnes raisons d'agir de la sorte et qu'au fond, je n'en ai cure.
Des idées très arrêtées sur l'allaitement, je n'en ai aucune puisque je n'ai jamais été concernée par le sujet, mais je suis à peu près certaine que cela n'a pas grand chose à voir avec le fait d'être une bonne mère ou pas. Et j'ai mon avis très personnel sur les avantages et les inconvénients, pour un enfant, d'avoir une mère qui est MAF.
Et puis au fait, est-ce-qu'une femme, ça doit forcément être une mère ? J'ai des copines qui ne veulent pas d'enfant, d'autres qui en auraient voulu et qui n'en ont pas eu pour x ou y raison. Ces femmes-là se réalisent autrement. Elles ont le droit d'exister aussi face à d'autres qui font de leurs maternités un étendard et qui sont loin d'être tendres avec elles. C'en est fatigant.
Ah, liberté, liberté chérie...
Pour ma part, je déteste le bleu marine, j'adore refaire le monde et je n'aime pas être MAF.
Suis-je une mauvaise mère pour autant ?
Toutes les femmes sont différentes et c'est aussi bien comme ça.