Peut-on rire de tout ? Je n'en suis pas sure. Chacun a ses limites et ce soir, le sujet que j'ai choisi d'aborder, vous allez le découvrir, ne fait pas dans la légèreté. Que ceux qui ne sont pas concernés, pas intéressés ou pas disposés veuillent bien m'en excuser, je leur promets la parution prochaine d'un radiateur ré-accroché, de folies crochetées ou d'asters nouveaux-nés... et peut-être même de charentaises éventrées.
Depuis ce jour gris où un médecin de Bordeaux, consulté non par plaisir mais par obligation (étape exigée pour débuter la procédure d'adoption), m'a jeté sans ménagement qu'un enfant adopté pouvait être né d'un viol, ce qui m'a fait bugger le cerveau pendant trois bons mois, je me demande régulièrement s'il vaut mieux
savoir ou ne pas savoir.
En choisissant la Chine comme pays d'origine de mon enfant, j'ai vite été mise au parfum car les limites ont été bien posées dès le départ. Aucune information ne pourrait être obtenue sur le passé du bébé. L'abandon étant un délit, les raisons qui l'avaient provoqué demeureraient définitivement inconnues pour les parents adoptants, et surtout pour les enfants adoptés.
Mais ce n'est pas parce qu'on est informé qu'on accepte et qu'on le vit bien.
Le jour où j'ai ouvert cette enveloppe kraft en provenance directe des services d'adoption chinois et que mon regard s'est arrêté sur ces mots succincts qui expliquaient que ma fille avait été trouvée devant un orphelinat à deux jours avec un biberon, ma gorge s'est serrée et pas une seule fois depuis, je ne suis parvenue à maîtriser l'émotion qui me submerge lorsque j'imagine ce tout petit bout de fille abandonnée en pleine rue.
Comment peut-on en arriver à se séparer de son bébé ?
J'avais bien quelques idées sur la question, nourries d'explications basiques fournies par l'association qui traitait notre dossier, et de données évidentes comme la politique de l'enfant unique, très spécifique à la Chine. Mais cela n'a jamais assouvi mon désir d'en savoir plus car la vraie bonne question, ce n'était guère celle évoquée ci-dessus mais bien celle que ma fille ne manquerait pas de se poser un jour :
Pourquoi ma mère chinoise n'a-t-elle pas voulu de moi ?
Dans mon esprit, c'était limpide. Si un jour elle voulait savoir d'où elle venait, je me devais de lui répondre du mieux possible.
Il m'arrive très souvent de m'arrêter pour la regarder, éberluée, et je me dis toujours : "Tu te rends compte, c'est ta fille. Elle est géniale. Trop de chance.". Elle m'envoie un sourire lumineux en m'appelant "Maman, viens !" et là, comme à tous ses anniversaires, je sais pertinnement ce que je dois à sa mère naturelle.
Cette femme, je me sens liée à elle. Peut-être pense-t-elle à sa fille, devenue la mienne, et se demande-t-elle si elle est heureuse ?
Pas question, à mes yeux, de dissimuler quoi que ce soit à cette enfant ou de lui mentir. Pour moi, elle aura toujours deux mères et deux pères et des racines chinoises que je lui aurais volontiers laissées plus ancrées si la double nationalité avait été autorisée par la loi chinoise.
De ces 9 mois et deux jours, je n'ai rien. Pas même la tenue qu'elle portait à deux jours ni le fameux petit biberon.
Aucun lien.
Lors de notre voyage soigneusement organisé en Chine et très réjouissant par ailleurs, nous avons été conviés à visiter un orphelinat mais ce n'était pas celui de ma fille, ni d'aucune des autres petites filles du groupe d'ailleurs. L'opacité était de mise et nos questions sur l'orphelinat où notre fille avait réellement passé ses 18 premiers mois se sont heurtées à un mur. La permission d'y aller seuls nous a été refusée et ce choc de cultures m'a beaucoup contrariée même si j'y étais préparée.
Je n'avais aucunement l'intention d'offenser les autorités chinoises. Ce que je voulais, c'était juste avoir quelques éléments à livrer à ma fille le jour où elle me regarderait et qu'elle me dirait : "Maman, qu'est-ce-qu'il m'est arrivé ?".
Et lorsqu'elle tente aujourd'hui d'en savoir plus sur ses premiers mois, je suis très contente d'avoir passé des heures à enquêter toute seule sur Internet et pu miraculeusement récolter une poignée de détails et quelques images sur sa vie passée. Aujourd'hui, j'ai quelques éléments en ma possession pour étayer les conversations que nous avons sur son quotidien à l'orphelinat. Et cela, apparemment, la satisfait.
Mais quand elle me questionne sur ses parents avec cette interrogation sous-jacente "Pourquoi n'ont-ils pas voulu de moi ?", je lui réponds que je ne sais pas ce qui s'est passé en lui proposant, comme il y a peu, de lire ensemble le rapport qui nous a été transmis lors de l'apparentement. Même s'il est pratiquement vide.
Au fond de moi, cette histoire bouillonne depuis toujours.
Et les questions abruptes ou les déclarations qui arrivent souvent comme un cheveu sur la soupe ravivent mon sentiment de frustration. Il y a peu, au dîner, elle nous a dit soudainement "Je veux aller en Chine voir ma Maman et mon Papa morts". Bizzaremment, surpris par sa formulation, on a éclaté de rire, et elle aussi du coup. Cependant, c'était loin d'être drôle et il a fallu ensuite se débrouiller pour répondre correctement et la tranquilliser.
Alors, c'est peu de dire
que mettre la main sur ce livre
a changé ma vie.
J'avais déjà lu Chinoises et Funérailles céleste de Xinran mais en regardant la quatrième de couverture de ce livre-là, je n'en ai pas cru mes yeux.
Une fois de plus, Xinran nous emmène au coeur de la vie des femmes chinoises - étudiantes, femmes d'affaires, sages-femme, paysannes - toutes hantées par des souvenirs qui ont marqué leur vie d'une empreinte indélébile. Que ce soit à cause de la politique de l'enfant unique, de tradition séculaires destructrices ou de terribles nécessités économiques, des femmes ont été contraintes de donner leurs filles en adoption, d'autres ont dû les abandonner - dans la rue, aux portes des hôpitaux, dans les orphelinats ou sur des quais de gare -, à d'autres, encore, on a enlevé leurs petites filles à peine nées pour les noyer.
Ces récits, Xinran n'avait jusqu'à présent jamais pu se résoudre à les rapporter - ils étaient trop douloureux et la touchaient de trop près. A toutes les petites Chinoises qui ont été adoptées à l'étranger, ce livre adresse un message poignant, pour leur montrer ce que leurs mères ont réellement vécu et pour leur dire qu'elles ont été aimées et ne seront jamais oubliées.
L'histoire de ma fille
était dans ce livre
et la mienne avec.
Ce que j'avais toujours eu en tête, à savoir que si jamais, un jour, ma fille, une fois adulte, voulait rechercher ses origines, peut-être et sûrement le pourrait-elle grâce à cet outil formidable qu'est Internet, devenait presque palpable.
Je ne l'ai pas lu d'une traite. Certains passages imposent un temps de repos et de réflexion.
J'y ai trouvé ce que j'attendais : des réponses à certaines de mes questions et en cela, je ne remercierai jamais assez Xinran pour ce livre extrèmement émouvant que je vais garder pour le remettre à ma fille lorsqu'elle sera en âge de comprendre et de supporter la réalité de son histoire, si elle le souhaite.
Très touchée par le fait que Xinran laisse, dès son introduction, une place aux mères adoptives, j'ai mieux compris son implication au chapitre 10 en découvrant son parcours poignant.
Je me suis longtemps interdit de divulguer mes sentiments profonds sur cette procédure d'adoption en Chine, procédure que j'ai avant tout choisie par évidence et que j'ai eu beaucoup de chance de mener à bien, mais dont les règles draconiennes m'ont amené et m'amènent encore à des questionnements sans fin.
Le livre de Xinran m'a libéré d'un poids.
Mon seul but étant de transmettre à ma fille la force nécessaire pour accepter au mieux son histoire et trouver une certaine forme de bonheur.