De candidatures en candidature
En ce mercredi 22 juin de l'an 2011, force est de constater qu'il ne reste plus une goutte d'eau de la vague d'optimisme qui m'a submergée en avril dernier. Malgré tout, comme celles et ceux qui se passionnent pour ma carrière professionnelle, faisant preuve en cela d'une bravoure sans nom, ont absolument droit à la transparence, je prends donc mon courage à deux mains et viens, toute penaude, vous conter mes dernières aventures.
S'il est vrai qu'après mes cinq nuits en boulangerie, j'ai fortement douté de la pertinence de mon projet, j'ai malgré tout, et parce que je n'avais rien d'autre à me coller sous la dent, continué à fantasmer sur la fabrication du pain. Cela m'a au moins permis de rencontrer de très bons boulangers et de survivre gentiment jusqu'au 21 juin, date fatidique de la fameuse réunion que j'attendais patiemment depuis des mois et qui était destinée à me dévoiler les mystères planant sur la formation menant au Graal.
C'est ainsi qu'hier matin, abandonnant lâchement mari et enfant, j'ai roulé pendant une heure pour traverser Nantes et atteindre enfin l'unique centre de formation du coin susceptible de me préparer au CAP de boulangère, et joyeusement flanqué dans une zone commerciale éloignée de tout, et surtout de mon-bled-paumé.
Quand j'en suis sortie une heure plus tard, j'étais passablement dubitative. Deux semaines de 35 heures de cours pimentées par un trajet quotidien de 2 heures en voiture ou 2h30 de transports en commun (bus-tramway-bus) suivies de deux semaines en entreprise avec changement de rythme évident, deux jours de repos hebdomadaires consécutifs ou non et dépassement des 35 heures de mise, la seule semaine d'interruption à Noël annoncée étant presque à coup sûr plus travaillée que chômée avec ou sans contrat et avec ou sans rémunération, selon les us et coutumes du patron d'apprentissage.
Côté financement, le métier étant en tension, la région prend en charge la formation. Ceux qui sont indemnisés par Pôle Emploi continuent à percevoir leurs droits et ceux qui, comme moi, sont hors circuit depuis des lustres, ont droit à une rémunération de 667 € par mois.
Il m'a fallu très peu de temps pour analyser la situation et dégringoler de mon nuage. Cette année de travail pourtant intense ne m'apporterait pas le deuxième salaire espéré depuis des années et une fois les frais de garde de Miss Cocotine et la facture d'essence réglés, la somme annoncée se réduirait vite à peau de chagrin.
Il fallait donc trouver une motivation ailleurs et c'est là que j'ai levé mon doigt pour poser cette question lumineuse : Que sont devenus les anciens stagiaires, ont-ils trouvé un poste facilement ?
La réponse m'a fait l'effet d'une douche froide. Sur 25, 2 seulement ont persévéré dans le métier l'année dernière et d'après les explications avancées, les neuf mois de formation sont considérés comme trop courts. Enchaîner sur un CDD semble indispensable si l'on veut être crédible face à un futur recruteur.
Cela veut dire, encore une fois, qu'il n'y a pas forcément adéquation entre la formation proposée et l'attente des employeurs. En l'occurence, j'ai cette impression désagréable que la plupart des boulangers embauchent des jeunes en apprentissage ou éventuellement des adultes en reconversion parce qu'ils ne leur coûtent rien ou presque, mais qu'une fois le CAP en poche, ça devient beaucoup plus difficile de trouver une bonne place, surtout quand on est considéré comme vieux et qu'en plus, on a le mauvais goût d'être une femme.
A moins qu'on ait les fonds nécessaires pour se lancer dans une reprise ou une création d'entreprise, auquel cas, évidemment, les choses sont plus simples, d'une certaine façon.
Ou alors qu'on soit mobile et qu'on se sauve à toutes jambes vers un pays où les salariés sont mieux reçus.
Perdue dans mes considérations et très remontée par la manière dont j'ai été accueillie sur le marché de l'emploi nantais à la sortie de ma formation diplômante en gestion de la paie, pourtant vendue comme le nec plus ultra, je ruminais sec quand m'est venue cette idée démente de solliciter mon Léon, un gars sensé, intelligent et complètement fiable.
- Alors, qu'est-ce-que t'en penses, de cette histoire ?
- Pfffff, c'est une galère, ton truc, et tu ne trouveras pas de boulot après.
Le moral dans les chaussettes, j'étais dans l'incapacité d'avaler la pilule quand me vînt l'envie d'avoir un deuxième avis et mon choix s'est immédiatement porté sur ma copine Dominique, une fille sensée, intelligente et complètement fiable.
- Alors, qu'est-ce-que t'en penses, de cette histoire ?
- Pfffff, c'est une galère, ton truc, et tu ne trouveras pas de boulot après.
Et elle a ajouté juste pour me faire du mal :
- Si encore tu étais à Paris, ça serait jouable mais là, c'est plus compliqué.
Paris, mais pourquoi j'ai quitté Paris, moi ?
Effectivement, ici, j'ai certes été reçue par d'excellents boulangers mais comme ils ne sont pas si nombreux que ça, ils sont très sollicités et par conséquent, en mai, ils avaient déjà embauché un apprenti ou un stagiaire pour la rentrée. Et la condition sine qua non pour démarrer la formation, c'est bien de trouver un tuteur, ce que je n'ai pas réussi à faire à ce jour.
L'heure est venue de faire une croix sur ce projet peut-être utopique pour n'en garder que le meilleur : ma jolie rencontre avec Makanai et celle, extraordinaire, avec Marie-Christine, qui, elle, a eu le courage et le culot d'aller au bout de ses rêves. Surtout, si vous aimez le pain, ne ratez pas son blog "De pain et de plume". Son parcours étonnant et brillant de la Sorbonne au BP de boulangère m'a vraiment bluffé et je n'ai aucun doute sur la diversité et la richesse des aventures qui l'attendent.
Peut-être un jour, dans une prochaine vie,
loin de mon petit monde insipide
de bureaucrate et de chômage,
serai-je aussi bonne boulangère qu'elle !
A propos de bureaucrates, j'ai répondu à une annonce qui me plaît bien dans la FPT il y a trois semaines mais rien à l'horizon. Du coup, j'ai décroché mon téléphone et demandé au recruteur s'il avait reçu beaucoup de réponses. Il m'a répondu : "Oui, oh non, une quinzaine." Alors, comme une chance sur quinze, c'est tout de même plus motivant qu'une chance sur deux cents, je ne peux pas m'empêcher d'y croire un peu. Tout reste à savoir si ce recrutement est un vrai recrutement et si, pour une fois, la FPT va démontrer qu'elle est vraiment ouverte aux ex-salariés du privé, ce dont je doute énormément pour l'instant.
Et si ça aussi, ça tombait à l'eau ?
Alors il n'y aurait plus qu'une solution : faire comme tout le monde et déclarer solennellement, la main sur le coeur :
Je suis candidate à l'élection présidentielle.
Illustration Gil Elvgren